Si les racines protestantes de la Responsabilité Sociétale des Entreprises sont relativement explicites, la religion catholique semble avoir aussi joué un rôle plus implicite. Ainsi, le Catholicisme apparaît comme la source d’inspiration indirecte des premiers penseurs protestants de la RSE, ainsi que d’une certaine forme de paternalisme industriel au XIXème siècle.

 

Les Quakers

 

Les Quakers sont habituellement considérés comme les pionniers de la RSE.

Le Quakerisme n'est pas considéré comme une religion.La doctrine sociale des Quakers s’oppose à l’accumulation de richesses inutiles. Elle prône la rigueur morale, associée à une pratique rigoureuse de la solidarité. L’ardeur au travail des Quakers en fait rapidement une communauté aisée d’industriels et des acteurs essentiels de la vie économique à la tête des plus grandes entreprises du XIXème siècle (Barclays, Lloyds, Price Waterhouse, Cadbury, …). Leurs préoccupations sociales se manifestent par l’attention portée à la formation et aux conditions de vie de leurs salariés, à la sécurité et à l’hygiène de travail.

Même si l’application stricte de ces principes les met à l’écart du débat économique de leur pays, ils consacrent une grande partie de leur richesse à des luttes sociales, comme l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis dès 1758. Ils veillent également à ne pas investir dans l’alcool ni le tabac.

« La véritable piété ne soustrait pas les hommes au monde mais les conduit à y vivre mieux et à l’améliorer » (William Penn)

 

Les racines explicites de la RSE dans le Protestantisme

 

Depuis l’origine du peuplement du continent nord américain par les émigrés européens, la religion protestante a joué un rôle structurant sur l’émergence et la diffusion du capitalisme. Dès la fin du XIXème, les dirigeants américains les plus fortunés se sentent investis d’une responsabilité morale qui les incite à développer des actions philanthropiques.

Au cours de la première moitié du XXème siècle, cette responsabilité morale est progressivement détachée de l’individu pour être appliquée à l’entreprise et à son organisation. La responsabilité sociale (ou sociétale) est ainsi progressivement conceptualisée comme un élément central de la relation entre l’entreprise et la société.

Durant la première moitié du XXème siècle, les premiers discours et théorisations de la responsabilité sociale sont largement marqués par les concepts protestants de public service, et de stewardship. Ces concepts stipulent que tout propriétaire a le devoir de satisfaire les besoins de la société dans son ensemble, dans la mesure où il doit répondre de ses actes devant Dieu et la société. Pour que la société ne révoque pas ce contrat par lequel elle accorde une marge de liberté et un pouvoir unique aux dirigeants d’entreprises de l’époque, ces derniers doivent honorer ce contrat implicite en travaillant à l’amélioration du bien être social.

 

Dans les sphères économiques et politiques, les principaux défenseurs de ces concepts sont de grands dirigeants comme Chester Barnard, Henry Ford, Alfred Sloan, ou encore les dirigeants de la General Electric Company.

Dans les sphères académiques, les économistes Clark et Bowen sont parmi les premiers théoriciens de la RSE, selon une perspective similaire de contrôle social de la propriété privée.

Bowen montre le rôle joué par la religion protestante dans la construction du concept de RSE. En 1953, il publie Social Responsibilities of the Businessman. Cet ouvrage fait partie d’une série de six travaux dédiés à l’étude de l’éthique chrétienne dans la vie économique.

Ces travaux ont implicitement donné aux Protestants un corps de doctrine sociale (ou sociétale) équivalent à celui que l’Eglise Catholique avait préalablement développé dans l’Encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII en 1891.

 

Les fondements implicites de la RSE dans le Catholicisme

 

En fait, les sources catholiques de la RSE sont plus anciennes que les sources protestantes.

Elles datent de la fin du XIXème siècle et tout particulièrement de ce qu’il est convenu d’appeler la Doctrine Sociale de l’Eglise, matérialisée ici par trois encycliques de référence.

 

L’encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII (1891)

 

L’Europe connaît alors un capitalisme très dur où les idées socialistes se radicalisent. Cette encyclique est en grande partie une réponse au Manifeste du Parti Communiste de 1847, expression de la doctrine marxiste dont les bases sont la lutte des classes, le caractère inéluctable de la chute du capitalisme et la dictature du prolétariat. Elle aborde notamment les points suivants:

On trouve dans Rerum Novarum plusieurs principes ayant inspiré la vision sociale, souvent paternaliste, de grands capitaines d’industrie de confession catholique :
  • Le respect de la dignité humaine,

  • L’idée contraire au libéralisme sauvage, selon laquelle l’Etat doit jouer pleinement son rôle, notamment à l’égard des plus faibles ;

  • La valeur du travail et en particulier de l’utilisation du corps (notion de travail manuel) ;

  • La confiance dans les corps intermédiaires entre l’Etat et l’individu dont les associations ouvrières constituent une forme exemplaire ;

  • La voie contractuelle permettant de trouver des arrangements sur tous les sujets et notamment celui de la détermination du salaire ;

  • La notion de juste salaire, certes un peu caricaturale à ses débuts ;

  • L’amélioration nécessaire des conditions de travail.

 

L'encyclique Quadragesimo Anno de Pie XI (1931)

Avec Quadregesimo Anno, le contexte historique et économique a évolué. L’économie d’entreprise gagne toute la planète et se double d’un processus de concentration, entraînant la constitution de très puissants groupes d’intérêts. La puissance et les limites du capitalisme sont très perceptibles avec une succession de périodes de crises et de croissances.

Si le marxisme a donné naissance à un communisme orthodoxe en Union Soviétique, un autre socialisme apparaît en Europe, plus réformiste que révolutionnaire, et plus souple à l’égard du droit de propriété.

 

Le principe de morale des affaires (QA, n° 100)

La première préoccupation de Pie XI consiste à réinsérer l’ordre économique dans l’ordre moral, jetant ainsi les bases de la morale des affaires. Or l’ordre moral a des fondements, notamment la justice sociale et la charité.

« S’il est vrai que la science économique et la discipline des moeurs relèvent de principes propres, il y aurait néanmoins erreur à affirmer que l’ordre économique et l’ordre moral sont si éloignés l’un de l’autre que le premier ne dépend d’aucune manière du second. »

 

La justice sociale (QA, n° 149)

« La justice sociale doit pénétrer les institutions… et doit se manifester par la création d’un ordre juridique et social qui informe en quelque sorte toute la vie économique. »

 

La charité (QA, n° 202)

« Les dirigeants trop longtemps indifférents au sort de leurs frères moins fortunés leur donneront des preuves d’une charité effective. »

 

Le renforcement du concept de juste salaire (QA, n° 131, 135)

« On doit payer à l’ouvrier un salaire qui permette de pourvoir à sa subsistance et à celle des siens … il importe que les travailleurs puissent, une fois couvertes les dépenses indispensables, mettre en réserve une partie de leurs salaires afin de se constituer une modeste fortune. »

 

Les concepts d’intéressement et de participation (QA, n° 126)

« La prise en compte des besoins de la famille et des possibilités d’épargne s’accompagne également d’une participation des ouvriers et des employés à la propriété de l’entreprise, à sa gestion, aux profits qu’elle apporte. »

 

L’encyclique Centesimus Annus de Jean-Paul II (1991)

 

Jean-Paul II élargit la Doctrine Sociale de l’Eglise en abordant certains thèmes du Développement Durable.

 

L’écologie (CA, n° 37)

« La Terre ayant été donnée par Dieu, l’homme ne doit pas consommer de manière excessive et désordonnée les ressources de la Terre… »

 

Le rôle sociétal de l’entreprise (CA, n° 35)

« Le but de l'entreprise n'est pas uniquement la production du profit, mais l'existence même de l'entreprise comme communauté de personnes qui, de différentes manières, recherchent la satisfaction de leurs besoins fondamentaux et qui constituent un groupe particulier au service de la société tout entière. Le profit est un régulateur dans la vie de l'établissement mais il n'en est pas le seul ; il faut y ajouter la prise en compte d'autres facteurs humains et moraux qui, à long terme, sont au moins aussi essentiels pour la vie de l'entreprise. »

 

Le rôle central de l’homme dans l’entreprise (CA, n° 33, 35)

« Cependant, le profit n'est pas le seul indicateur de l'état de l'entreprise. Il peut arriver que les comptes économiques soient satisfaisants et qu'en même temps les hommes qui constituent le patrimoine le plus précieux de l'entreprise soient humiliés et offensés dans leur dignité. Non seulement cela est moralement inadmissible, mais cela ne peut pas ne pas entraîner par la suite des conséquences négatives pour l'efficacité économique de l'entreprise. »

 

La valorisation des ressources humaines (CA, n° 33)

Enfin l’encyclique de 1991 fait une large place à la nécessaire valorisation des ressources humaines, pour « un accès équitable au marché international » dans le cas du Tiers-Monde, ou pour « l’insertion sociale » dans le cas du Quart-Monde.

 

A partir de la question ouvrière, la Doctrine Sociale de l’Eglise s’est progressivement élargie. Centrée initialement sur les relations patrons/ouvriers, elle a progressivement reconnu les droits et les devoirs de l’entreprise, reliant la conduite des affaires et la morale, qu’il s’agisse des relations interpersonnelles, inter-états ou encore des relations avec la Nature.

La place reconnue au marché, à la propriété privée et au profit (indicateur de bon fonctionnement) rapproche l’idéal catholique du capitalisme libéral, mais garde ses distances avec l’idéologie ultralibérale. Les excès du libéralisme sont toujours dénoncés et de nombreuses voies sont tracées pour les éviter ou en corriger les effets. C’est dans ces propositions d’amendements que résident les fondements catholiques de la RSE :

  • Respect de la dignité humaine

  • Juste rémunération et partage des fruits du travail

  • Respect de la Nature

  • Possibilité de réussir sa vie par son travail

  • Développement économique

  • Equité dans les rapports marchands




Evolution récente et conceptualisation du Développement Durable

 

En 1971, le Club de Rome publie un article volontairement provocateur, intitulé "Halte à la croissance !" où il prône la croissance zéro, au regard de la surexploitation des ressources naturelles liées à la croissance économique et démographique. Le développement économique y est alors présenté comme incompatible avec la protection de la planète à long terme.

C’est dans ce climat de confrontation et non de conciliation entre l’écologie et l’économie que se tient la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement humain, à Stockholm, en 1972. Cette conférence sera à l’origine du premier vrai concept de Développement Durable, baptisé à l’époque Eco-Développement. Des personnalités comme Maurice Strong, organisateur de la Conférence, puis le professeur René Dubos, Barbara Ward et Ignacy Sachs, insistent sur la nécessité d’intégrer l’équité sociale et la prudence écologique dans les modèles de développement économique du Nord et du Sud. Il en découlera la création des Programmes des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement.

Durant les années qui suivent, la société civile prend conscience de l’urgence de mettre en place une solidarité planétaire pour faire face aux grands bouleversements des équilibres naturels. Ainsi, au cours des années 1980, le grand public découvre les pluies acides, le trou dans la couche d’ozone, l’effet de serre, la déforestation et la catastrophe de Tchernobyl !

 

Dès 1980, l’Union Mondiale pour la Nature parle pour la première fois de Sustainable Development. Mais le terme passe presque inaperçu jusqu’à sa reprise dans le rapport de Gro Harlem Brundtlan * (intitulé Notre Avenir à tous, publié et soumis à l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1987) qui le définit comme "un choix de développement qui permet aux générations présentes de satisfaire leurs besoins sans remettre en cause la capacité des générations futures à satisfaire les leurs" et pose les bases du concept de Développement Durable.

 

* Premier ministre en Norvège et Présidente de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement

 

Qu'est-ce qu'une entreprise sociétalement responsable ?

 

Une entreprise sociétalement responsable doit respecter les 3 pliliers du Développement Durable.

 

Pilier environnemental

L’entreprise doit s’assurer de la compatibilité de ses activités avec le maintien des écosystèmes, en termes de consommation de ressources, production de déchets, émissions polluantes…

 

Pilier social

L’entreprise est responsable des conséquences sociales de ses activités pour l’ensemble des parties prenantes (employés, fournisseurs, clients, communautés locales, société en général).

 

Pilier économique

L’entreprise doit être rentable et contribuer au développement économique des zones d’implantation de ses activités et à celui de ses parties prenantes.

 

On ne peut parler de développement durable que si ces objectifs ou conditions sont réalisés

  • Le croisement entre l’économique et le social concerne les conditions qui rendent équitables les échanges entre l’entreprise, les salariés et les parties prenantes.

  • Le croisement entre l’économique et l’environnement touche à des questions ayant trait à la viabilité de l’activité humaine pour ses besoins et à ses conditions de reproductibilité.

  • Le croisement entre le social et l’environnement porte sur les conditions permettant de rendre vivable cette activité sur une longue période (notions d’hygiène, de sécurité, de santé et de cohésion sociale). Il recouvre également la question des solidarités inter-générationnelles.

 

L’intersection de deux sphères constitue à la fois une zone de risques et d’opportunités.

Les trois objectifs assignés au développement durable : prospérité économique, justice sociale et qualité environnementale, lorsqu’ils sont déclinés au niveau de l’entreprise, engendrent des zones de collision ou de tension, nécessitant de concilier des intérêts souvent opposés et de trouver des arbitrages et des compromis susceptibles de satisfaire les différentes catégories de parties concernées.

Chaque dimension fait l’objet d’informations et évaluations spécifiques (comptabilité financière, bilan social, bilan écologique) ou mixtes (ex : mesures d’éco-efficience dans le croisement économique/environnement).

 

Exemple d'application à la production hydroélectrique